Crédit photo : WWE
À toute chose, il existe un exact opposé. Et s'il y a bien une chose qu'on peut reconnaître au catch, c'est sa capacité à osciller entre ses extrêmes. Là où la rivalité Michaels/Taker a su élever notre discipline et dont la seule évocation fait battre notre cœur de fan un peu plus fort, il réside hélas en ce monde son pendant contraire. Une rivalité dont le firmament crache sur tout ce qui vous est cher ; son seul rappel vous donnera une grimace de mépris, comme un souvenir gangrené qu'on voudrait amputer de son esprit. Si la rivalité précédente est la cime de la plus belle et la plus haute montagne, cette "rencontre" est le bas-fond le plus abyssal du catch : tout ce qu'il ne devrait jamais être, mais auquel nous allons devoir nous confronter. Car, ce n'est pas en ignorant une partie du spectre catchesque que nous pourrons en exorciser les fantômes. Mesdames et messieurs (et tous les gens entre les deux), j'ai l'infâme déshonneur de vous présenter la """rivalité""" Hulk Hogan / Jeff Jarrett qui eut lieu à WCW Bash at the Beach 2000 ou "la rencontre qui vous fera détester aimer".
Nous sommes à l'aube du nouveau millénaire mais la WCW est déjà à son crépuscule, elle ne fascine plus les foules comme elle a su le faire. Par excès de confiance peut-être, elle ne sut se réinventer et fut incapable de tenir tête à sa concurrente alors qu'elle l'avait à ses pieds quelques années plus tôt. La détresse est la pire des conseillères et les erreurs, les incohérences et les déceptions n'étaient jamais bien loin derrière. Il restait malgré tout des fans : des nostalgiques s'accrochant désespérément au rêve fou de revoir leur fédération tant aimée revenir sur le devant de la scène, vous auraient dit les plus cyniques. Car, malheureusement, le cynisme et la froideur des entreprises corporatistes sont devenus le seul carburant disponible à la bonne conduite de leurs programmes.
"Nous allons aborder la rivalité entre Hogan et Jarrett" avez-vous pensé ? Félicitations, vous serez déçus. Même le champion de la fédération n'est qu'un pion au service, non pas d'un roi mais d'un fou. En effet, Jeff Jarrett n'a été ici qu'un pantin malheureux ; soumis comme nous aux délires de déments. Non, la véritable rivalité concerne Hogan ... et Vince Russo ; l'homme en charge des storylines de la compagnie, à la fois à l'écran et en coulisses. Leur animosité mutuelle était bien connue et les différends étaient fréquents, ils redoublaient bien plus d'inventivité pour leurs insultes que pour leurs idées créatives. Comment pouvions-nous savoir cela si nous ne regardions pas la presse spécialisée "backstage" ? Tout simplement en regardant "WCW Monday Nitro". Pour notre plus grand plaisir (tousse, tousse), certaines personnes crurent bon d'alimenter les rivalités FICTIVES avec des altercations ayant eu lieu backstage bien réelles. La moindre poignée de mains ignorée, le moindre mouchage de nez un peu trop bruyant et le moindre regard en coin mal apprécié pouvaient servir à justifier un combat. Ainsi, si vous regardiez du catch pour rêver et vous évader quelques heures des guéguerres d'influence, des impôts et de la politique ; soyez déçus.
Le show est déjà bien entamé avant que la rencontre entre Hogan et le champion débute, Booker T a notamment perdu son match contre Kanyon par exemple. Hulk Hogan, déjà blessé par Jarrett dans un Nitro précédent, sait qu'il n'aura peut-être pas d'autre chance s'il échoue. Cependant, c'est Russo qui entre en premier accompagné un peu plus tard du champion ; puis vient Hogan et le match commence. Oublions un instant ce que je vous ai dit, nous avons un match pour le championnat de la WCW entre deux gros noms avec Russo sur le côté, prêt à y mettre son grain de sel. Ça risque de partir en l'air à tout instant mais nous sommes prêts ! Ça fait des semaines que tout le monde ici se cherche des noises, enfin ils peuvent se mettre sur la tronche ! La cloche sonne, c'est l'heure de la baston pour le titre suprême !
...
Euh, quoi ? Attendez, je vois Vince Russo avec la ceinture. Il ... la jette sur le ring et il a l'air de dire à Hogan qu'il n'a plus qu'à se servir. Le Hulkster demande le micro, dit que c'est à cause de ce genre de conneries que cette foutue compagnie en est là aujourd'hui, pose son pied sur Jarrett toujours allongé ... et gagne le match. Moins de deux minutes de "combat" et j'ignore si c'est le goût du vomi ou de mon sang que je sens que mes lèvres. Comme la cohérence et l'intérêt du public, Jarrett part sans demander son reste mais contrairement à eux, il va revenir dans la soirée. Hogan quitte également les lieux. Ah, comme je suis content de m'être investi dans cette histoire malgré ses défauts. Comme j'apprécie me faire insulter car j'ai osé aimé ce qu'on m'a demandé d'aimer. Bon, on va dire que je vais éteindre mon cerveau et ne plus y penser pour le moment ; le ppv n'est pas fini.
*Plus tard*
Euh, pourquoi Vince Russo revient ? Et merde, il a un micro dans les mains. J'ai peur. Bon, écoutons au moins ce qu'il va dire. Alors, s'il a fait ça, c'est parce que Hogan n'est qu'un politicien en backstage et qu'il voulait utiliser sa clause de contrôle créatif pour gagner le match (j'inspire profondément). Heureusement, môssieur Russo est intervenu ; il nous promet qu'on ne verra plus jamais Hogan dans cette compagnie, que le match précédent est annulé et que le titre qu'il a ne vaut plus rien (j'expire profondément). Nous allons avoir à la place un match entre deux personnes qui veulent vraiment se battre pour la WCW et qui méritent leur chance pour le VRAI titre : Jeff Jarrett contre Booker T (euh, mouais ok mais ils ont tous les deux perdu ce soir, nan ?). Et comme conclusion magistrale envers Hulk Hogan : "Kiss my ass !". Oui, nous avons un poète ce soir.
Qu'y a-t-il de plus beau ici ? Les insultes en avalanche ? Les commentateurs et Russo en mode "ce n'est pas le personnage, c'est l'homme qui parle" ? Le fait que PERSONNE ne se souvient que Booker T a gagné son PREMIER TITRE MONDIAL CE SOIR LÀ ? Ou bien que le catch nous traite de CONS parce que NOUS OSONS CROIRE EN LUI ? Parce que cons, nous le sommes ; c'est la WCW qui le dit : il faudrait être le dernier des abrutis pour aimer ce que le catch nous propose. Nooooon, la cruelle réalité des affaires en coulisses ; ça c'est intéressant !!!
Mais le plus grandiose n'est pas là, croyez-moi ou non. Sachez que, après quelques recherches de ma part, toute la séquence de l'abandon de Jarrett était prévue dans le script bien que ce dernier pensait vraiment que c'était juste pour faire chier Hogan. Le Hulkster était censé revenir plus tard dans l'année pour déterminer un champion incontesté. Votre cerveau ne s'est pas encore écoulé par vos oreilles, bien, vous en aurez besoin. Parce que, et la seconde partie alors ? Très simple : c'est une initiative personnelle de Vince Russo. Personne n'était prévenu, Russo a fait ça de son propre chef alors que ce n'était même pas lui mais Eric Bischoff le véritable responsable de l'équipe créative à l'époque. Oui, Russo l'a fait à l'envers à absolument tout le monde. Je vous laisse pleurer/rire/vomir (plusieurs choix possibles) quelques instants, on s'approche de la conclusion.
Un "Montreal Screwjob" du pauvre, une des décisions les plus désastreuses de notre discipline, un immonde crachat au visage des fans ou tout à la fois ? Je vous laisse seuls juges. Pour ma part, ces deux segments sont la plus grande insulte que le catch a faite au catch : celle de nier sa propre importance et, par la même occasion, celle qu'il a pour ses fans. Si vous êtes là, c'est qu'une part de vous aime cet art à mi-chemin entre sport et spectacle, entre théâtre et compétition ; et peut-être que, comme moi, cette soirée vous a fait détester aimer le catch.
Mais ce serait lui faire trop d'honneur. Notre discipline a fait naître en nous une flamme inextinguible, où la moindre tentative pour la souffler, au contraire la ravive. Il existe trop d'athlètes à connaître, de légendes à voir naître, de souvenirs à créer, d'histoires à écouter, de fans à ravir, de passion à faire vivre, de larmes à verser et de catch à aimer. Que personne ne nous ôte ce sourire que seul notre art sait nous donner.
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