Crédit photo : WWE
Le catch est aujourd'hui vu, à juste titre, comme un spectacle divertissant les foules. Le lien entre catch et lutte est quasiment imperceptible. Pourtant, le catch professionnel américain comme on le connaît, est le descendant direct de la lutte dite française ou Gréco-romaine.
Les origines européennes
Dès 1835, la lutte de foire, moins codifiée que les autres types de luttes, est présente en France et partout en Europe de manière plus ou moins simultanée. Difficile de connaître avec certitude le berceau réel de cette lutte qui dérivera un siècle plus tard vers le catch. On peut supposer qu'elle est née à Bordeaux ou Lyon. Jean Exbroyat créa en tout cas, la première troupe itinérante en 1848 et codifia quelque peu les règles en interdisant les prises sous la taille.Ce nouveau style est alors nommé « lutte à main plate »
Les premières structurations en Europe et la naissance de la « lutte au chiqué »
Vers 1880, les troupes de lutteurs font des tournées à travers plusieurs villes d'Europe. Les promoteurs proposent alors souvent à des amateurs présents dans le public de se confronter aux champions. Il arrive même que le catcheur d'une autre troupe soit choisi de façon à hiérarchiser les « compagnies ».
A la même époque, quelques grandes troupes s'installent dans des salles qu'elles louent à l'année. Ces dernières, pour attirer toujours plus de public, choisissent parfois de truquer les combats et de pratiquer ce que l'on appellera « la lutte au chiqué ». Les grands noms de cette forme de lutte sont Edward, le mangeur d’acier», «Gustave d’Avignon, le dépanneur d’os», ou «Bonnet, le bœuf des basses Alpes»
Saint Petersbourg, le centre névralgique
Saint Petersbourg devient alors la capitale mondiale de la lutte à main plate et le grand Circus Ciniselli accueille même les championnat du monde en 1898. Le français Paul Pons « le colosse » devient le tout premier champion. Très vite les pays de l'Est vont prendre le pouvoir et les futurs grands champions seront le Polonais Ladislaus Pytlasinski, le Russe Ivan Poddoubni
(dont le surnom était : le champion des champions), le monstre oriental venant de Turquie Kara Ahmed ou encore le lion des Balkans, le Bulgare Nikola Petrov.
Malheureusement, le fait de truquer certains matchs n'étaient pas en réelle adéquation avec les attentes de l'époque et le catch européen commença à s’essouffler dès le début du 20ème siècle. Il faudra alors attendre les années 50 et un style bien différent, dont la figure de proue était l'ange blanc, pour que le catch français et européen retrouve de sa superbe.
L'exode
Beaucoup de lutteurs choisissent donc de s'exporter aux USA dans le but de faire carrière. C'est le cas des français Raoul de Rouen ou Theobald Bauer (qui deviendra d'ailleurs le premier catcheur masqué). D'autres grands noms arrivent sur le sol américain. George Hackenschmidt est probablement le plus connu d’entre eux mais on peut aussi citer Ernest Roeber, Joe Acton ou Dan McLeod,...
Ces catcheurs vont connaître une concurrence féroce et seront, pour la plupart (pas forcement ceux cités plus haut qui sont de très grands noms européens), souvent dominés par les stars américaines que sont Martin Burns, Evan Lewis, Tom Jenkins, William Muldoon puis plus tard Frank Gotch. Ceci s'explique par le fait qu'en Europe, les sportifs qui n'arrivaient pas à percer dans la lutte traditionnelle se tournaient systématiquement vers la lutte au chiqué ou vers la lutte à main plate. Au USA par contre, les lutteurs professionnels n'avaient rien de seconds couteaux.
Les premières stars mondiales de catch-as-catch can
Les première grandes stars sont donc américaines.
a) L'imprenable « Solid Man » William Muldoon.
Dans les années 1880, une star se démarque par sa technique et son influence sur le public qui dépasse le cadre du catch-as-catch can. Cette grande star est le « Solid Man » William Muldoon.
Muldoon est historiquement important pour plusieurs raisons. Son palmarès tout d'abord. La dessus c'est un sans faute. Muldoon n'a simplement jamais perdu. Il est pourtant 2 fois World Greco-Roman Heavyweight Champion. En effet, il prit une première fois sa retraite en septembre 1882 avant de revenir sous la pression populaire et de regagner son championnat qu'il conservera donc jusqu'à sa retraite officielle en 1891.
Muldoon n'est pas connu que pour ça, c'était un acteur de théâtre mais il était aussi et surtout entraîneur. Il a préparé John L. Sullivan pour son célèbre combat de 75 rounds contre Jake Kilrain pour le championnat du monde de boxe à mains nues des poids lourds. Sullivan a gagné et Muldoon a accru sa renommée et sa notoriété sur l'ensemble du territoire américain. Muldoon a également battu Sullivan dans un combat à mains nues de 3 rounds et Clarence Whistler dans un combat de plus de sept heures.
En 1900, William Muldoon ouvre "The Olympia", un complexe dédié à la santé des plus réputés. Des personnalités de tout premier plan comme des sénateurs ou des ambassadeurs viennent alors des quatre coins du monde pour s'essayer aux méthodes de remise en forme de Muldoon . Le « Solid Man » devient « Le professeur » et des rumeurs disent qu'il aurait même surveillé la santé physique du président Roosevelt.
En 1921, Muldoon a été nommé président inaugural de la commission sportive de l'État de New York, par le gouverneur Nathan Lewis Miller.
Une biographie de Muldoon a été publiée en 1928 et préfacée par le boxeur star de l'époque Jack Dempsey.
b) Le premier « undisputed » champion ; Evan « Strangler » Lewis
Dans les années 1880, le World Greco-Roman Heavyweight Championship et le World Catch-as-Catch Can Championship sont les deux titres principaux pour les lutteurs poids lourds. A la retraite de Wiliams Muldoon, Ernest Roeber reprit le titre de World Greco-Roman Heavyweight Championship . En 1887, Evan Lewis devint, quant à lui, World Catch-as-Catch Can Champion en battant Joe Action.
Un match entre les deux eut lieu en 1893 dans un match mixte, alternant donc les règles de catch as catch can (plus proche de la lutte libre pour simplifier) et de lutte gréco-romaine dans un 3 out of 5 falls. Lewis unifia les titres et devint le tout premier American Heavyweight Wrestling Championship. (premier titre à comporter le nom wrestling).
Evan Lewis a perfectionné le « stranglehold ». Son surnom de « Strangler » sera plus tard repris par un journaliste pour qualifier Ed Lewis qui lui ressemblait beaucoup physiquement et qui « endormait » ses adversaires avec une prise perfectionnée mais assez similaire. Evan Lewis n'atteindra jamais la renommée de Muldoon mais son parcours et son héritage (cf la chronique sur Ed Lewis) restent conséquent. Il est aussi connu pour avoir vaincu le très grand Martin « Farmer » Burns.
c) Martin « Farmer » Burns «The Grandmaster of American Wrestling »
Le jeune Martin Burns admirait le président Lincoln* et le passé de lutteur de ce dernier semble avoir retenu l'attention du petit prodige.
Il se lança donc dans le catch dès l'age de 8 ans. Grâce à son talent, il gagna une multitude de matchs contre des adolescents parfois âgé de 16 ans avec à une maîtrise inégalé de son corps. Dès 11 ans à la mort de son père, c'est lui qui dût subvenir aux besoins de sa famille. Il devint fermier et commença à se sculpter un corps d'athlète.
A cette époque déjà, il affrontait des « hommes forts » dans des combats libres. Il gagnait systématiquement grâce à sa technique et sa virtuosité. En 1880, Burns est âgé de 19 ans et participe à son premier combat de catch as catch can professionnel face à l'excellent catcheur David Grafft. Le match se termina sans décision au bout de 2 heures mais Burns avait gagné une grande renommée régionale.
Après 6 ans d’invincibilité, il perdit ses 2 premiers matchs contre Evan Lewis et Tom Connors.
Ces défaites furent un électrochoc pour Burns (surtout celle contre Lewis qui lui appliqua le « stranglehold »). Il entama alors un entraînement spécifique et rigoureux sur plusieurs années pour développer son cou. Ce dernier mesurait environ 50 cm il était tellement large et fort qu'il résistait à une pendaison quand on le lâchait d'environ 1m80. Burns prit sa revanche sur Lewis en moins de 15 minutes et devint alors World Catch-as-Catch Can Champion. Il est à noter que Burns avait répondu à un défi ouvert et était arrivé en habits de fermier. C'est la première fois ici qu'il a été annoncé en tant que « Farmer ».
Burn devint le maître des soumissions (nelson, hammerlock, double-wrist lock, chicken wing,...). Il ne pesait que 75 kg et remportait des combats contre des adversaires pesant souvent le double.
Il affronta le seul lutteur ayant posé véritablement problème à Muldoon, Sorakichi Matsuda (premier catcheur japonais, bien avant la Japan Wrestling Association de Rikidozan). Burns remporta le choc en 4 minutes seulement. Il prit ensuite le titre de American Heavyweight Wrestling Championship à Lewis, là encore très facilement.
Il sera finalement battu par Tom Jenkins en 1897.
Jenkins mériterait probablement de figurer parmi le cercle très fermé de ce top 3 des grands catcheurs de la toute première génération. Il fera peut -être l'objet d'une autre chronique.
Burns a ouvert un gymnase à Rock Island en 1893 pour entraîner et promouvoir les jeunes talents. Il a battu le tout jeune Frank Gotch dans ce gymnase avant de faire de lui le meilleur lutteur de la génération suivante. Il aurait entraîné un total de 1 600 catcheurs. Il a écrit un livre de 96 pages explicitant ses méthodes d’entraînement.
Finalement, il connaîtra plus de 6000 victoires dans sa carrière pour 7 défaites et quelque no contest.
Conclusion :
Merci à ces pionniers qui étaient de véritables sportifs et qui ont contribué à la mise en place des bases techniques de la discipline que l'on connaît aujourd'hui. Nous nous arrêterons là, à l'aube du XXe siècle. En fonction de nos envies, ce genre de chroniques pourrait être développé à l'avenir sur des périodes différentes. Il serait possible aussi d'entrer plus en détails sur les caractéristiques spécifiques d'un catcheur de cette époque comme par exemple le très grand Tom Jenkins.
*Il est à noter que les présidents George Washington et Abraham Lincoln ont été champions (catch col et coude, une ancêtre du catch-as-catch can pour Washington et Catch As catch Can pour Lincoln qui a probablement inventé le ChockSlam). Les deux étaient connus dans leurs états respectifs mais ne sont évidement pas entrés dans l'histoire pour ça.
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