Crédit photo : WWE
Pour tout fan de catch, qu'il le soit encore ou non, il existe un moment voire une histoire qu'il n'oubliera jamais ; comme la pièce d'un puzzle fermement ancrée dans la mosaïque qu'est sa vie. Cela est propre à chacun, selon ses sensibilités, ses expériences, ses chagrins et ses joies. Cela vous semble familier comme discours ? C'est normal, vous l'avez sûrement déjà entendu de la bouches de critiques d'oeuvres d'art, qu'ils soient journalistes, quidams passionnés, youtubeurs ou autres. Pour moi, et pour beaucoup d'autres sûrement, "Wrestling is not fake. Wrestling is Art" : le catch, ce n'est pas du faux ; c'est de l'Art. Un art avec son propre univers où la narration forge des storylines à base de trahisons, d'alliances et d'obstacles insurmontables, où la seule solution se résume bien souvent en l'affrontement de deux individus à l'envergure quasi mythique et où le tout est sublimé magnifiquement par l'effervescence d'un public de passionnés, parfois capables par leurs seules voix de changer le cours des événements. Quelle autre oeuvre vous permet de vivre autant ?
Et parmi les figures mythiques de notre monde, comment serait-il possible de ne pas mentionner l'Undertaker et Shawn Michaels ainsi que leur rivalité culminant à Wrestlemania 26 ? Cette storyline est certainement un cas d'école tant elle est excellente. Des protagonistes identifiés et identifiables depuis plus de 20 ans, des motivations clairement établies de part et d'autres, des enjeux supérieurs à tous les matchs de la carte et une confrontation finale qui a su faire honneur à l'anticipation qu'elle avait créée. Dans cette seconde (et j'espère, future deuxième) Histoire à Conter, nous allons nous pencher sur la storyline opposant Shawn Michaels contre l'Undertaker de début 2010 ou "Le coeur face à la mort".
Décembre 2009, Shawn Michaels reçoit le Slammy Award de match de l'année grâce à son incroyable performance face au Deadman au Wrestlemania précédent. Il s'apprête à quitter la scène quand il se retourne pour demander sa revanche : il se sait capable de vaincre l'Undertaker et de mettre fin à la Streak, et cette fois il compte bien y arriver. On oublie un moment l'adulescent de DX et on se prépare à assister à la storyline de l'année à venir. Là où il n'y avait eu qu'un mois pour établir leur dernier affrontement (Michaels ayant fait face à JBL peu avant), on s'y prend cette fois trois mois à l'avance. Quelques temps après, le Taker vient à la rencontre du HeartBreak Kid et sa réponse est claire : il refuse car il a déjà emporté son âme lors de Wrestlemania 25. Évidemment déçu et semblant encore à vif par rapport à sa défaite, HBK n'a pas beaucoup le choix. Pour obtenir sa rencontre tant désirée, il lui faut gagner une opportunité pour le titre du Taker et ce, peu importe le prix à payer. La solution est évidente : le Royal Rumble 2010, mais c'est au contraire là que tout s'effondre. Éliminé, Michaels semble ensuite dévasté et laisse parler son désespoir en terrassant les catcheurs et officiels encore présents. Rongé par son échec, nous ne voyons plus une légende mais un homme face au doute : est-il vraiment capable de faire ce qu'il nous a promis ? Ou bien est-il condamné à échouer comme tant d'autres avant lui ? L'esprit hanté par ses démons, il sera ensuite responsable de la perte des titres par équipe qu'il détenait avec Triple H ; un nouvel échec comme une nouvelle cassure dans le coeur d'un homme si vaillant. Il lui reste encore l'occasion de faire face au Phenom s'il parvient à se qualifier pour l'Elimination Chamber ... échec. C'est au bord du gouffre que HBK en vient à de nouvelles extrémités : il interfère dans ladite Elimination Chamber et coûte le titre au champion, pour la plus grande joie de Chris Jericho et d'Edge un peu plus tard. Furieux d'avoir perdu, le Taker accepte finalement le défi qui lui fut lancé deux mois auparavant mais à une condition : Shawn Michaels doit mettre fin à sa carrière en cas de défaite. "Si je ne peux pas battre l'Undertaker à Wrestlemania, je n'ai aucune carrière." répond l'intéressé ... Le match est donc confirmé, sera sans disqualification et est intitulé "Career vs Streak". "Mister Wrestlemania", "the Showstopper", "the Main Event", n'a plus le choix : pour faire honneur à ses surnoms, sa carrière et sa parole, il DOIT gagner.
En s'intéressant un peu à la construction de la storyline, on observe un procédé intéressant : ce n'est pas le face à face de deux futurs hall of famers qu'on nous donne mais celui d'un homme contre un colosse inébranlable, une institution immuable. La légende qu'est Shawn Michaels a cédé sa place au cours des mois précédents à un homme se sachant près de la fin, ayant déjà perdu par le passé et causé la perte d'autrui ; un homme dont il ne reste que le courage face à la funeste arrivée de son parcours.
Dimanche 28 mars 2010, Wrestlemania 26, Main Event ; le moment si craint et attendu est enfin là. Les deux hommes arrivent et se font face, et comme le dernier signe de défi d'un condamné, Shawn Michaels provoque le Taker en imitant son classique "Cutthroat". L'Undertaker, enragé par ce nouvel affront, s'élance dès le début du match ; bien décidé à faire payer cet insolent, que cet homme imbécile comprenne la force quasi divine qu'il a osé défier. Cependant, la rencontre est loin d'être unilatérale. Semblant tiré une force nouvelle, HBK arrive à parer les offenses du Deadman pendant le début du match et même à prendre un ascendant certain. Un Tombstone Piledriver porté en dehors du ring a vite fait de refroidir les ardeurs de Michaels et cette fois, les deux hommes semblent être sur un pied d'égalité. Les attaques de chacun se succèdent, rendant coups pour coups, mais aucun ne fait fléchir l'autre. Le temps s'arrête, les souffles se coupent à la moindre tentative de tombé. Tout est incertain mais une vision inattendue vient briser un instant le match.
La façade que le Taker avait maintenue s'est effritée avant d'enfin s'effondrer. Pour ce qui paraît être la première fois, l'Undertaker semble être humain. On lit la fatigue sur son visage, mêlée à de l'incompréhension. Comment peut-il se retrouver sans ressources face à un simple mortel ? Pourquoi ce pauvre homme s'acharne autant ? À quoi bon ? Mark Calloway est au centre du ring, debout, pendant que Shawn Michaels est à genoux. Mais HBK en a décidé autrement ; s'il doit perdre, que ce soit contre nul autre que l'Undertaker, la légende de Wrestlemania. Alors, Shawn Michaels réitère sa provocation d'avant-match en singeant le cutthroat du Deadman. Ce dernier est livide. Il subit un tel affront de la part de son adversaire pour lequel il commençait à ressentir du pardon voire de la sympathie. Mais, de la sympathie, c'est tout ce que Michaels refuse de recevoir : il ne demande que la victoire ou la mort ... et il a déjà choisi son bourreau. D'une gifle cinglante, HBK réveille l'Undertaker de sa torpeur ; c'est maintenant un être enragé et décidé à l'abattre qui se tient devant lui. Plus de pardon, plus de doute, la légende renaît en saisissant une dernière fois son supplicié. Un ultime Tombstone Piledriver retentit dans l'arène.
Un, deux, trois, la carrière de Shawn Michaels vient de s'éteindre sous nos yeux ; soufflée par le vent glacial de la cruelle réalité : dans son domaine, l'Undertaker est invincible.
Pour ce qui est sans doute la plus grande rivalité de la décennie, peut-on vraiment parler d'une défaite pour monsieur Michaels ? Libre à vous d'y croire ou d'en douter. Cette rivalité a été capable d'encore cimenter l'Undertaker comme la plus incroyable légende du catch, ce qui était symbole et métaphore ici est maintenant réel. Et comme le héros d'une tragédie, Shawn Michaels s'est sacrifié non pas pour la carrière d'un autre ou pour des embrouilles de coulisse mais pour nous, pour le public, pour le Catch. Il nous a donné ce que notre art a à offrir de mieux. Pour cela, pour le reste, pour ceux que votre carrière a inspiré et ceux qu'elle inspirera, merci.
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