Ces derniers temps, comme tous les observateurs un minimum attentifs, j'ai constaté avec joie une montée d’enthousiasme autour du Catch français. Dans un pays où l'on a tendance à descendre les talents locaux, et ce peu importe la discipline, il est agréable de voir des gens sur des forums ou des réseaux sociaux générer des discussions autour de nos combattants locaux. Bien que motivé par le récent développement de la scène anglaise et allemande, ce regain d'intérêt pour le Catch de chez nous m'a ramené plusieurs années en arrière. Au milieu des années 2000s plus précisément, un temps où les fans les plus curieux organisaient des road-trips pour aller voir ce que des jeunes promotions comme la ICWA ou France-Catch proposaient.
À l'époque, ce qui me marquait le plus était la proximité entre les catcheurs et le public. Dans un pays où tout était à reconstruire, les nouvelles recrues des compagnies françaises étaient souvent des fans du web ayant décidé de sauter le pas. Je me rappelle encore des utilisateurs du mythique forum (aujourd'hui disparu) de RTL9 décidant de se lancer dans le milieu. Les pseudonymes de forum avaient laissé place aux noms de ring, et les Colby, Snookai et autres Sturricane316 étaient devenus Yan Colby, Marco Bandidas ou encore "The Jackhasselhoff " Sturry.
Un autre sujet de fascination au sein du microcosme des fans hardcore était le projet fou d'un utilisateur nommé TVD, qui voulait devenir superstar aux États-Unis. Une idée folle pour la plupart, mais qui avait suffisamment germée pour éclore en 2012, quand ce-même TVD, alias Tom La Ruffa, signait à la WWE pour 4 ans. Si je vous raconte cette histoire ce n'est pas pour raviver la mémoire de l'ancêtre que je suis (moi qui approche la trentaine), mais plus pour rappeler que malgré la renaissance du Catch en France, les choses n'ont pas tellement changé.
En effet bien qu'avec des fans très investis, et des catcheurs de plus en plus nombreux, notre scène nationale semble toujours pâtir d'un déficit de cohésion. Un écart fort s'est opéré entre les stars locales, et nos meilleurs représentants à l'étranger. Parmi les catcheurs les plus mis en avant dans les discussions, on observe malheureusement toujours les mêmes profils : performeurs de région parisienne ou du nord, actifs mais principalement dans le périmètre de l’hexagone, et souvent proche des fans les plus vocaux. Rien de mal à ça, en soit, il est même rassurant de voir que faire l'effort d'aller vers son audience paie, mais il est étrange de constater que nos plus grandes fiertés dans le métier sont également celles que le public ignore le plus. Tout en appréciant les efforts d'un Hellmer Lo'Guennec ou d'un Tristan Archer pour se faire un nom à l'étranger, d'autres workers, plus expatriés, ne bénéficient d'aucune publicité, bien qu'ils arrivent à payer leurs factures grâce au Catch (pour certains depuis près d'une décennie).
Preuve en est la l'absence quasi-totale de suivi sur les quelques tricolores ayant réussis à s'imposer durablement dans des grandes nations du Catch. L'exemple le plus flagrant étant celui de Heddi Karaoui. Si certains lecteurs de longue date pourraient nous reprocher d'une certaine connivence avec ce-dernier, nous qui le suivons depuis plus de 10 ans, nul ne peut nier que le "King Of Lucharesu" est respecté partout où il est passé, sauf dans notre pays. Après des débuts aux Japon sous la coupe du hall of famer de la WWE, Antonio Inoki, ce-dernier est allé conquérir le Mexique où il a brillé dans la plupart des promotions indépendantes, jusqu'à aller combattre dans des structures majeures comme la IWRG ou la CMLL (dans son fief de l'Arena Mexico). Avec en bonus des piges au Japon (à la BJW puis à la DDT), et des participations aux tournois Shoot-Style de la wXw, la raison de son manque de popularité dans nos contrées reste incompréhensible...
Cela dit, le "French Submissioner" n'est pas le seul a cruellement manquer de reconnaissance. Au sein des ligues mexicaines, un autre tricolore s'est fait un nom, celui de Gallo Frances. Derrière cette gimmick de coq gaulois masqué, un ancien de la WS, Jerry Motta, qui après plus de 15 ans sur le territoire national a tenté sa chance au pays des Luchadores. Malgré une certaine réussite, il a lui aussi été laissé de côté par les aficionados et autres experts. Un manque de reconnaissance qui fait mal et qui semble se perpétuer pour ceux qui ne fréquente pas suffisamment les shows locaux et les pages Facebook à la mode. Face à cette désolante indifférence, certains ont décidé de rompre le peu de liens qu'ils entretenaient avec la communauté des fans.
À la tête de ce mouvement de ras-le-bol, Tom La Ruffa. Lassé des bruits de couloir et du caquètement des éternels insatisfaits, le niçois continue d'être mal aimé des amateurs de Catch français. Il faut dire que ce-dernier a souvent été l'objet de tacles plus ou moins justifiés. D'abord montré du doigt pour son ambition folle de rallier l'Amérique, il a ensuite été moqué pour ses choix de personnages durant son séjour à NXT, et carrément attaqué au moment de son retour en France. Désormais plus présent en Italie et en Allemagne que sur des shows français, ce-dernier défend toujours une vision du Catch très axée-business, trop éloignée de la réalité du milieu français à en croire les critiques. Pourtant, force est de constater que sans l'aplomb de l'azuréen et son parcours hallucinant, le rêve de travailler aux U.S.A, ou simplement à travers l'Europe, serait resté impossible pour toute une génération de catcheurs.
Autre sudiste ne travaillant quasiment qu'à l'étranger, Louis Napoléon. Excepté quelques piges du côté de Ouest-Catch, celui que l'on a connu sous le masque de Miseria ou de Blue Falcon ne semble plus vouloir être associé à la scène française. Fort d'un accord sur le long-terme avec la Michinoku Pro au Japon, le nimois est clairement dévoué à convaincre au pays du soleil levant plutôt que dans sa propre patrie. Là encore, l'attention portée à ses rencontres est minimale, et il faut s’accrocher pour trouver la moindre mention de ses exploits sur le web francophone.
Pour conclure cette chronique, je dois admettre que je n'ai pas trouvé de réponse à l'énigme qui me trahine depuis plusieurs mois. Comment se fait-ce que plus un worker français marche à l'étranger, moins il intéresse les fans et les promoteurs ? Au-delà des querelles internes et des disputes par comptes Twitter interposés, la source du problème parait plus complexe. Peut être que ce manque d'intérêt vient du fait que, bien qu'ayant plus facilement accès au Catch indépendant, les fans restent soumis à un certain formatage, qui les pousse à surtout regarder un produit américain (WWE, ROH, PWG) ou fortement américanisé (NJPW, wXw, PROGRESS).
Quoiqu'il en soit, une reconnexion entre la communauté et ses talents les plus mal compris est clairement nécessaire. Au-delà d'un évident besoin de sérénité dans le paysage catchesque, faire revenir ces stars dans des shows locaux aiderait les organisateurs à élever la qualité globale des shows, et permettrait aux jeunes talents d'apprendre auprès de vétérans au parcours impressionant. Les carrières étant courtes et les projets de plus en plus ambitieux, nous pourrions voir un telle réconciliation s'opérer dans les années à venir. Il ne tient qu'aux acteurs du Catch français de faire un effort...